Une seule solution: l'exil... vers ces grandes terres de liberté où coulent (pour certains au moins) le lait, le miel et l'huile de schiste de la libre entreprise.
Ce discours ne date pas d'aujourd'hui... même si les Eldorado changent au fil des ans...
Du temps de mon enfance, les USA, l'Australie faisaient rêver... mais aussi le Canada...
Mon "souvenir" le plus ancien du Canada est précisément l'histoire de l'exil d'un habitant de mon village natal, pour des raisons... qui n'avaient pourtant rien d'économiques.
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Mes deux frères et moi (nous pouvions être alors âgés de trois à six ans) attendions avec impatience tous les dimanches à midi moins trois précises l'accomplissement d'un rite immuable dont nous étions les héros.
Tel le signal déclencheur du ballet bien réglé des automates d'une horloge astronomique, apparaissait au bas de notre rue le jeune lieutenant des pompiers de notre village, accompagné de son berger allemand - le Youki.
Arrivé devant chez nous, il nous incitait à lui faire escorte pour la centaine de mètres qui nous séparaient du bâtiment de l'hospice - dont une cavité de la façade abritait le coffret de commande... de la sirène municipale.
(cercle rouge= sirène; croix sur le toit de notre maison)
Ce coffret - qu'on trouverait aujourd'hui bien peu sécurisé - était tout de même situé à une hauteur qui le mettait hors de portée des garnements en culotte courte que nous étions.
Le pompier nous hissait donc l'un après l'autre dans ses bras, pour nous permettre d'accomplir les tâches nécessaires au test dominical de la sirène d'alarme:
- ouvrir le coffret avec la clef
- appuyer sur le bouton déclencheur de la sirène
- une minute après - appuyer de nouveau pour éteindre la sirène
- refermer à clef le coffret
L'intensité sonore du dispositif si proche de chez nous contribuait grandement à créer ce sentiment de panique.
Et puis, par un beau dimanche... pas de lieutenant de pompier, pas de Youki...
Rapidement on nous fit comprendre à demi-mots que plus jamais nous ne sonnerions la sirène: le jeune et fringant lieutenant avait choisi - laissant derrière lui une famille et le Youki - de partir avec sa maîtresse... vivre au Canada !!
C'est la première fois sans doute que j'ai vraiment entendu parler de ce grand pays et pris conscience des infinies possibilités qu'il offre !
Peut-être cette histoire - frustrante pour mes frères et moi - d'exil amoureux d'un pompier infidèle attiré par les sirènes d'un Nouveau Monde, a-t-elle joué un rôle dans le relatif désintérêt de ma part où j'ai jusqu'ici tenu le Canada.
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A l'intention de Lydie et Benoît - qui ont récemment voyagé au Canada et nous ont conseillés pour préparer ce périple - je crois utile de préciser, Benoît étant pompier - que toute extrapolation ne peut être que fortuite...